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FANTAZIO

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Fantazio ou " le tremblement de la vie "

C'est une sorte d'Adriano Celentano punk et débonnaire. Un homme au regard profondément mélancolique qui a baroudé de Berlin à Bogota, du Xinjiang à Buenos Aires (sa mère était Argentine) et connu à peu près toutes les expériences musicales imaginables. Un " homme-contrebasse ", comme on l'a appelé parfois, en référence à son instrument fétiche, qui a fréquenté les squats, les arrière-salles des cafés, les free-parties, les trains, les couloirs du métro comme les scènes les plus renommées. Un drôle d'animal qui ne s'est jamais laissé apprivoiser, artiste dadaïste se jouant des genres pour composer des pièces qui sont un peu à la musique ce que l'art brut est aux arts plastiques : indifférentes aux conventions. Où l'on trouve (en songeant parfois à un certain Albert Marcoeur ou aux premiers Areski-Fontaine) des morceaux de free jazz se mêlant à des paysages sonores comme sortis tout droit de l'inconscient, des comptines enfantines se dérèglant comme des petites bombes à retardement, des mélodies accrocheuses enlevées d'une voix chaude (et se régalant des idiomes), des cordes omniprésentes, des claviers sans entraves, des percussions à rebondissements et autres procédés non répertoriés - et souvent très drôles - traduisant toutes les palpitations de la vie.
Après deux albums sous le nom de Fantazio, un disque en duo avec la chanteuse Katherina Ex et un quatrième avec le saxophoniste Akosh et le batteur Denis Charolles, voilà surtout notre imprévisible énergumène qui, à un moment charnière de son existence, revient avec un nouveau projet : un album qui pourrait être comme une synthèse de toutes ses aventures passées. Susceptible de séduire une large audience tout en restant fidèle à l'intrinsèque singularité de son maitre d'oeuvre, à la fois auteur, vidéaste, improvisateur, performer et musicien dans l'âme. Pour tenter de saisir un peu de ce poète à fleur de peau, traquant " l'aléatoire " et " l'accidentel " comme l'essence de la vie, nous l'avons soumis à la question.

fantazio concert

La Madelon ?
Ma grand-mère chantait cette chanson populaire, " La Madelon vient nous servir à boire... ", quand j'étais enfant. J'adorais ça. Il m'arrive toujours d'improviser de fausses vieilles chansons militaires et coloniales (il se met à chanter d'une voix de stentor : " rendez-nous le soleil de Tunis... ", NDLR). J'adore quand ça grince. Et c'est tellement exagéré que ceux qui le prennent mal sont vraiment très crispés. Ma grand-mère, dactylo, pianiste amatrice, qui aurait adoré devenir chanteuse d'opérette, m'a offert une contrebasse quand j'avais quinze ans. J'allais m'inviter dans des fêtes privées avec mon instrument, le frappant du pied et criant en plusieurs langues pendant dix minutes pour être sûr que les gens se souviennent de moi !

La chanson ?
J'ai chanté en toute circonstance, un peu partout, et je peux encore aujourd'hui aussi bien chanter dans un centre social que faire une performance dans un musée d'art contemporain. La musique est un boulot artisanal et social, un outil pour qu'on se rassemble et qu'on soit émus d'être ensemble, comme le vaudou. J'ai toujours voulu faire un truc polymorphe, qui change tout le temps. J'adore Elvis autant que John Cage, les chansons napolitaines ou Eminem. Mais je peux très bien aussi comprendre qu'un jour de pluie, en hiver, dans la 504 de tes parents, une chanson de Sardou ou de n'importe qui d'autre, puisse t'émouvoir. C'est une alchimie de situation à chaque fois mystérieuse.

Le punk ?
A 14 ans, quand j'ai découvert les Cramps et le punk, j'ai découvert un univers faramineux. Surtout avec l'idée qu'il me faudrait sans cesse tout effacer pour tout réinventer et repartir de rien, que chaque concert serait l'occasion d'un nouveau vertige, le plus en adéquation possible avec mon état psychique du moment.

Eléphant ?
Ce mot m'évoque d'abord mon père, qui aimait beaucoup les éléphants et qui, je m'en suis rendu compte après sa récente disparition, a été d'une solidité incroyable. Une solidité qui m'a permis de prendre du LSD à 14 ans et d'aller loin, dans la rue, avec des punks, des skinheads, des poly-toxicomanes plus âgés que moi, parce qu'il était là, comme un filet de sécurité. Ce mot me renvoie aussi à l'affiche du film de David Lynch, Elephant Man, que j'ai vu à l'âge de dix ans, deux ans avant la mort de ma mère, en passant devant le cinéma " Le Bretagne ", à Montparnasse, et qui m'a mis pendant des années dans des états d'angoisse gigantesques, irrationnels, et de grandes dépressions enfantines, au point que ma mère m'a envoyé à douze ans voir un psy.

Berlin ?
J'ai vécu à Berlin de 1995 à 2000 et c'est une ville qui m'a énormément offert. Qui m'a donné confiance et fait prendre conscience que je pouvais gagner ma vie en faisant de la musique. Que j'avais un style et que la vie était pleine de magie et de coïncidences. Les deusche mark pleuvaient dans ma poche et je pouvais me produire sur une dizaine de lieux dans un même périmètre, comme une sorte de rituel mystique.

Cabaret ?
Ce mot me renvoie au mouvement Dada, quand les artistes faisaient un lien entre la politique, la violence radicale et l'art. Pour moi, c'est ce qui manque actuellement. Même si, plus qu'à Paris où je suis né et où j'ai grandi, je l'ai trouvé à Rennes, où je vis aujourd'hui, dans un lieu comme le Bois Harel et tant d'autres lieux nés ces dernières années sous différentes formes.

Boris Vian ?
Ses livres et sa personnalité m'ont conforté dans mon approche de la fantaisie du monde. Il a un aspect polymorphe que je trouve très émouvant. J'aime aussi chez lui sa pratique du jazz bien sur, mais aussi sa méchanceté, sa cruauté. " L'Arrache coeur " est d'une cruauté et d'une violence incroyables et je ne supporte pas l'image d'auteur pour adolescent, un peu niais, qui lui est encore accollée.

Buster Keaton ?
J'étais à Bruxelles il n'y a pas longtemps avec sa continuité asiatique, un chanteur qui s'appelle Matthieu HA. C'est le Buster Keaton franco-flamand-vietnamien ! On nous comparait à une époque. On me disait : tu as ton équivalent à Bruxelles, un mec qui chante partout avec une voix de castrat ! J'adore Keaton, parce qu'il est froid comme une machine et le plus profond des artistes du burlesque muet.

Machine ?
Ce mot me fait penser à l'expression " machine molle " de William Burroughs. Je trouve très belle l'association des deux mots. Plus que la psychologie et la psychiatrie c'est selon moi les rouages, la mécanique, qui peuvent aider à comprendre les gens. Quels que soient les troubles ou les traumatismes que tu as eu, c'est inscrit dans ton corps. On passe notre vie à chercher retrouver les origines de nos troubles, de nos emprisonnements, des rôles sociaux qu'on a endossé et qui forment des couches superposées de protection, qu'on croit être nous-même, et sous ces couches, battent des cœurs endormis qui sont des machines molles glissantes et gorgées de flux sanguin.

Le prochain album ?
Ce sera un disque en trio, avec le batteur, percussioniste et véritable machine de guerre Francesco Pastacaldi, avec qui je joue depuis quinze ans et une musicienne coréenne Woo-Ree Hu aux claviers, à l'alto et aux voix. Il devrait compter une douzaine de morceaux, qui s'enchaînent comme un voyage radiophonique. Un peu punk disco, un peu hip hop underground, entre les Cramps et Guillaume Apollinaire, avec du grain, des synthés crados, la matière de la vie, son tremblement.

PHA

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