"Programme de
prévention des regrets" (HYP / Pias)
Barbe noire, sourcils charbonneux, Vital,
figure de proue du groupe Les Vilars, dégage
d'emblée une intensité singulière,
s'accrochant à son micro comme si sa vie en dépendait.
Concentré, concerné - consterné sans
doute aussi parfois par le monde comme il va - engagé
certainement, pour autant que ce mot puisse signifier
encore une implication pleine et entière dans une
cause ou une pratique artistique. Ou les deux à
la fois. Indéniablement, les Vilars réussissent
cette synthèse entre engagement et expressivité.
Un engagement poétique donc qui, après avoir
brandi le drapeau de l'insurrection sur un premier album,
" Le Bel Avenir ", porte aujourd'hui, au fil
des morceaux d'un second opus, " Programme de
prévention des regrets ", les couleurs
de l'émancipation. Au sens le plus large.
Avec, en toile de fond, une forme
de gravité que vient subtilement contrebalancer
un sens bienvenu de l'ironie. " Il y a une vraie
volonté d'écrire des choses qui naissent
du vécu, qui parle des réalités
quotidiennes, ordinaires, et de chercher la clef qui
peut nous sortir de l'impasse ", observe le chanteur-auteur
et co-compositeur du groupe.
Mais rembobinons un instant. La genèse des
Vilars, ce sont d'abord deux frères jouant
avec les sons les mots, un piano, une guitare, dans
leurs chambres d'adolescents. Des adolescents aux
oreilles grandes ouvertes, autant imprégnés
de musiques traditionnelles russe, brésilienne
ou bretonne que de chanson française ou de
pop anglo-saxonne.
" Nous avons beaucoup voyagé chacun
de notre côté, un peu partout dans
le monde, relate Vital. Mais nous nous sommes toujours
retrouvés pour composer et enregistrer des
chansons dans un enthousiasme obstiné - une
espèce de pathologie qui devait se résoudre
un jour ou l'autre sur la scène ".Le
" Bel Avenir " naît en 2016
à la croisée des chemins alors que
Rémi, le frère ainé, s'est
installé aux Etats-Unis et que Vital revient
de Madagascar où il a travaillé pour
une organisation humanitaire
Dès ce premier essai, se dévoilent
quelques partis pris affirmés, comme ce "
spoken word " qui n'est pas sans rappeler le groupe
Fauve, même si on y trouve une plus grande appétence
pour la mélodie. Mais aussi une façon particulière,
à la fois directe et poétique, de manier
les mots. Le tout porté par une instrumentation
mêlant violoncelle et basse omniprésente
à la guitare ou aux claviers. Paru chez La Souterraine,
label n'ayant pas son pareil pour sortir des groupes de
l'ombre, un des dix titres du disque, " Démission
", en forme de coup de poing, va faire un carton
sur la toile, comptant à ce jour plus d'un demi-million
de vues sur youtube. Dans la foulée, Radio Nova,
FiP et France Inter s'entichent de ce groupe sorti de
nulle part et de cette façon toute personnelle
de balancer des colères contemporaines tout en
bousculant les codes habituels de la chanson.
" Ce qu'on cherchait, c'était ce mélange
de mélodie, de mots scandés sur de fortes
rythmiques, et de narration", relève Vital.
Si l'on retrouve la patte des deux frangins sur la composition
du nouvel album, " Programme de prévention
des regrets ", celui-ci confère aux Vilars
une nouvelle dimension, avec des arrangements délibérément
électro-pop, teintés ici ou là d'une
touche funky (Progrès), voire de disco déglinguée
(Idées). C'est qu'entretemps, Vital est venu s'installer
sur une île bretonne et s'est acoquiné avec
trois musiciens rennais. La qualité d'écriture
est quant à elle plus que jamais au rendez-vous
avec, au fil des morceaux, des mots tantôt crus,
tantôt tendres et de jolis trouvailles telles ce
: " faire semblant, ça on sait faire, faire
ensemble, ça c'est moins clair ". Au final,
et sur des rythmes enlevés, il semble que Vital
chante/parle comme s'il s'adressait à vous personnellement,
avec cette manière à la fois retenue et
complice de lâcher ses paroles sans se départir
pour autant de leur esprit frondeur. On n'est pas dans
la harangue échevelée d'un Léo Ferré
(dont ils ont repris " l'Anarchiste " sur une
compilation dédiée). Plutôt dans un
croisement improbable entre un Souchon mal élevé,
pour le goût de la ritournelle qui accroche (Béton),
un Daniel Darc intimiste, pour la fragilité à
fleur de peau (Amies) et, disons, un Philippe Katherine
ayant avalé Deleuze, pour les audaces vocales et
le jeu avec les mots (Idées), les Vilars ne s'interdisant,
au vrai, pas grand-chose. PHA